de 1875 à 2017
M. BOUVARD
Récits n°2
Écoutez le témoignage de Mr. BOUVARD
Mme Bouvard : J'ai vécu au Fort depuis 1987, il me semble bien. Je ne me rappelle plus l'année où on est arrivés avec mes parents. Ce n'est pas quelque chose qui m'a marqué. Ma mère avait été recrutée par l'Armée. Ils cherchaient une gardienne mais qui avait déjà un emploi à côté. Le logement était gratuit, l'eau et l'électricité, mais elle n'était pas payée. On y est restés jusqu'en 1993, ma mère jusqu'en 97, jusqu'à l'abandon du Fort en fait.
Le Fort était géré par le CIPM, c'était le Quartier Général Frère qui gérait ça. Il y avait des préparations militaires une fois tous les deux ou trois mois et ils restaient pendant quinze jours. C'était des paras (le 5e GHL). Une semaine, ils faisaient des préparations et la deuxième ils allaient sauter.
La préparation militaire consistait à préparer les jeunes à rentrer dans l'armée en section parachutisme… À l'époque, je crois qu'ils touchaient 250 francs ou 300 francs par mois, et de faire cette préparation cela leur permettait de toucher 1 500 francs. C'est pour ça qu'ils venaient passer quinze jours.
Lorsqu'ils étaient là, l'Armée s'occupait complètement du Fort, donc on s'en détachait complètement. Enfin ma mère se détachait et on y faisait plus grand-chose puisque c'était l'armée qui commandait. Il y avait une cantine et une cuisine. Ils étaient plus d'une centaine à chaque fois. La Marine est venue faire une préparation quinze jours, les musiciens de la Légion Étrangère qui sont venus jouer à Lyon au Stade de Gerland quand le Pape était à Lyon.
M. Bouvard : La gardes mobiles aussi, lors d'une manifestation anti-nucléaire à Lyon. Ils sont restés 3 ou 4 jours.
Mme Bouvard : La BRAVE venait s'entraîner aussi, c'est l'équivalent du GIGN.
Mme Bouvard : Ils venaient s'entraîner avec les chiens.
« Comment la vie se déroulait lorsqu'ils étaient là ? »
Mairie de Feyzin : Comment la vie se déroulait lorsqu'ils étaient là ?
M. Bouvard : On était logés dans les petits appartements qui ont brûlé, sur la droite, juste après l'entrée du Fort. Celui sur la gauche c'était celui de ma belle-mère, et à côté c'était le nôtre.
Mme Bouvard : Notre rôle était de garder le Fort, de faire attention que personne ne rentre ni ne sorte. Quand il y avait l'Armée, c'était eux qui géraient ça, mais nous faisions attention quand même, mais en dehors de ça, quand il y avait l'Armée, cela se passait très bien. Il y a eu même des moments où il y avait des jeunes prisonniers qui ne sont venus qu'une fois, en 92, pour déboiser le Fort. Les JET, (Jeunes Élèves Travailleurs). C'est l'Amiral Brac de La Perrière qui avait initié ça. Ils étaient encadrés par des militaires qui faisaient eux aussi leur armée.
C'était des jeunes qui étaient en fin de peine qui sortaient de prison et qui venaient là. On les côtoyait, on discutait avec eux, tout ça a été très enrichissant. C'était souvent des jeunes qui étaient tombés dans la petite délinquance. À l'époque, on les mettait là-dedans pour leur apprendre un petit peu ce que c'était le travail, les horaires, les réinsérer. Ils dormaient là-bas. Je trouvais ce système vraiment bien. Après il avait pris une société pour débroussailler.
M. Bouvard : Il commençait à ne plus avoir de jeunes, c'était la période où ils ont arrêté le service militaire. Alors, forcément, les relations ont changé du tout au tout : « Bonjour, on vient débroussailler, au revoir ». Ils partaient le soir on ne les revoyait pas, c'était un peu sauvage…
« Lorsqu'il y avait l'Armée, il y avait de vraies relations humaines […] c'était enrichissant »
Mme Bouvard : Lorsqu'il y avait l'Armée, il y avait de vraies relations humaines. Bien sûr, on a eu vraiment tout les cas, c'était enrichissant. Par contre, je garde un très mauvais souvenir de la Marine. Irrespectueux à souhait. À l'inverse, lorsqu'on a eu la Légion Étrangère, composée de gens d'un certain âge pour l'époque, la quarantaine environ, c'était complètement différent. Ils étaient bien plus respectueux. C'était des musiciens, ils avaient leurs instruments. Ils étaient venus faire un concert à Gerland, quand le Pape était venu à Lyon. Ils nous ont pas fait de concert personnel mais ils nous on quand même offert un 33 tours. Tout ce qu'il faisait était respectueux.
« Et comment les militaires étaient nourris, du coup ? »
Mairie de Feyzin : Et comment les militaires étaient nourris, du coup ?
Mme Bouvard : C'était livré du QGF, tout prêt, ils avaient juste à réchauffer. Il y avait des cuisiniers, des jeunes qui faisaient leur préparation dans les cuisines. Certains allaient chercher tout les jours la nourriture pour la journée et ils amenaient des stocks. Il y avait tout, il y avait une cuisine complète, des fois ils faisaient des repas… C'était à réchauffer mais ils avaient tout ce qu'il fallait, c'était extraordinaire, c'est dommage que cela a été saccagé.
Au moment où ma mère et l'Armée sont partis et le rachat par la mairie, en 97, il n'y eut plus personne. Et forcément…
La passation aurait dû se faire immédiatement. C'est dommage, y a de l'argent qui est parti en l'air.
« Et votre vie dans le Fort lorsqu'il n'y avait que vous, comment cela se passait ? »
Mairie de Feyzin : Et votre vie dans le Fort lorsqu'il n'y avait que vous, comment cela se passait ?
Mme Bouvard : Ma mère restait là-bas puisqu'il fallait qu'il y est une personne 24h/24. Et quand ma mère sortait, c'était moi qui restait avec mon mari et vice-versa. Ma sœur vivait avec nous et son copain à l'époque également. Autrement la vie du Fort c'était le calme… Les daims avaient été transportés du Fort de Corbas parce qu'ils s'étaient trop multipliés.
C'était le paradis, quelque chose d'extraordinaire. J'avais 24 ans. C'était la belle vie !
On faisait des fêtes, on n'avait pas de voisins, c'était calme, verdoyant, apaisant.
M. Bouvard : Quand on vit au Fort, on n'a pas l'impression d'être dans une ville, avec la barrière végétale qui l'entoure, on n'a pas du tout de vue sur la raffinerie…
Mme Bouvard : Je me rappelle, lorsque les chasseurs de Feyzin chassaient dans la forêt environnante, tous les animaux revenaient se planquer au Fort, alors on était contents !
« Pendant la guerre, je sais qu'il y a eu des prisonniers »
Mme Bouvard : Pendant la guerre, je sais qu'il y a eu des prisonniers… D'abord Français, puis Allemands. Ils étaient dans le deuxième bâtiment, qui n'était pas encore abandonné à l'époque et ils ont vécu là. À l'intérieur de ce bâtiment, il y avait une chapelle. Enfin, ce que nous, on appelait une chapelle. On connaissait le Fort de fond en comble évidemment. Lorsque vous montez, il y a une pièce avec des inscriptions en allemand avec une croix. Ils venaient se recueillir là. Pour eux, c'était leur endroit. On a également retrouvé l'endroit où le tunnel qui communique avec le Fort de Corbas débutait. C'est impressionnant, ce fort.
Un jour, l'Armée avait fait une porte ouverte, pour expliquer pourquoi le Fort avait été construit, pour la défense de Lyon, ils expliquaient tout, c'était intéressant.
« L'été on avait l'impression d'avoir une clim' »
Mairie de Feyzin : Lorsqu'on observe les murs du Fort, on a l'impression que c'est toujours froid, que cela doit être impossible à chauffer : comment cela se passait votre quotidien dans les murs ?
Mme Bouvard : Eh bien dans les murs, c'était comme n'importe quelle maison, c'était confortable. L'hiver, il faisait très chaud et l'été, il faisait très frais. Donc on n'avait pas ce problème de chaleur parce qu'il faisait très frais, à cause des pierres fraîches.
M. Bouvard : L'été on avait l'impression d'avoir une clim', on dormait avec les couettes l'été, ce n'était pas humide, c'était frais. Une clim' en route ça fait pareil ! Ainsi, l'été, on était super bien, et l'hiver, l'Armée nous avait installé de très bonnes chaudières, c'était impeccable, c'était même trop chauffé parfois. L'opposé.
« L'Armée n'avait pas les moyens d'entretenir tout ça »
Mairie de Feyzin : Et est-ce que vous utilisiez la boulangerie ?
Mme Bouvard : Non non, c'était tout à l'abandon, ça a toujours été à l'abandon, et les militaires ne s'en sont jamais servi. Ils n'ont jamais cherché à la remettre en route. La seule chose dont il se servaient, c'était l'ancien bâtiment où ils stockaient des vieux bureaux, des vieilles chaises. On savait qu'il y avait une ligne pour le téléphone rouge.
Il y a le puits aussi, que les pompiers ont essayé de mesurer, mais ils se sont arrêtés à 80 m, la corde n'allait pas plus loin…
« On avait les daims qui venaient manger dans notre main »
M. Bouvard : Mais l'Armée n'avait pas les moyens d'entretenir tout ça, ça aurait coûté trop cher. Ils faisaient surtout leur préparation militaire et ils déboisaient, histoire de dire qu'ils s'occupaient de quelque chose, mais ils n'ont jamais cherché à entretenir sur le long terme.
C'était fabuleux d'habiter là. On avait les daims qui venaient manger dans notre main, on leur donnait du pain...
M. Bouvard : Les chiens s'amusaient avec. Ma sœur avait un husky et ils s'amusaient avec eux naturellement.
Mme Bouvard : Ils avaient pris l'habitude d'être ensemble. Il y avait très peu de décès. On n'avait pas de problème avec eux, à part qu'ils mangeaient tout. C'est carnivore ces bêtes là. Ça mange des lacets, ça mange des plastiques… Le problème c'était ça. Quand l'Armée a fait des autopsies pour savoir ce qu'ils avaient, ils sont tombés sur toutes ces saloperies… Un autre jour, un daim était tombé du haut du cavalier parce qu'un chien de l'équipe cynophile lui était parti après, dans la panique il est tombé.
M. Bouvard : On a vu des colonels, plein de gens. Mais on n'a pas gardé contact. Ils venaient pour les préparations, mais en dehors de ça, on ne les voyait presque pas.
« Parfois on trouvait des voitures volées »
Mairie de Feyzin : Et parfois, est-ce que vous aviez des visites… des gens qui n'étaient pas censés être là ?
Mme Bouvard : Oui, parfois on trouvait des voitures volées, parfois on trouvait des voitures brûlées, parfois on appelait les pompiers... Une ou deux fois, des jeunes sont rentrés… On a appelé les gendarmes… et qui ne voulaient pas ressortir. Mais on n'a jamais eu de gros problèmes.
Le problème, c'est que lorsque quelqu'un est dans le chemin, on n'entend rien. Une fois qu'on était à l'intérieur, si les gens ne klaxonnaient pas pour entrer, ils risquaient d'attendre longtemps ! Les murs sont très épais et c'est très vallonné.
Pourtant on n'a jamais eu peur, l'hiver c'est très impressionnant. L'été c'était très joli parce que c'est très vert, mais l'hiver c'est plus impressionnant. Quand la nuit tombait, les gens nous disaient « Oh, vous vivez là, comment vous faites ? En fin de compte, non, on n'a jamais eu de problème. Les gendarmes faisaient un tour des fois de temps en temps, le week-end, l'Armée passait, y avait un mec d'astreinte qui venait voir, faire le tour en voiture demandant s'il y avait un problème…
« Les habitants de Feyzin connaissent très peu en général le Fort de Feyzin »
Mairie de Feyzin : Et même si vous n'étiez plus des enfants à l'époque, mais qu'est ce que vous avez organisé comme aventures ?
Mme Bouvard : On a fait surtout des fêtes vu qu'on ne payait pas les salles. On y a fait les 30 ans de mon mari. On ne demandait pas spécialement l'avis de l'Armée, mais on rendait les locaux très propres, même plus propres qu'ils n'étaient avant en général. On s'est fiancé au Fort aussi.
Parfois des gens venaient visiter le Fort, des particuliers, on ouvrait les portes à des gens qu'on connaissait.
C'est vrai que les habitants de Feyzin connaissent très peu en général le Fort de Feyzin. C'est pour ça d'ailleurs qu'il y a eu une affluence monstre lors des premières Journées du Patrimoine, lors des portes ouvertes du monument, qui finalement était resté comme caché, très secret, alors qu'il était à deux pas d'eux. Mais même des personnes d'un certain âge m'ont déjà dit « Moi je ne suis jamais rentré dans le Fort ».
M. Bouvard : Mais ça, c'était lié au fait que c'était à l'Armée, ils ne voulaient pas qu'il y ait des civils qui rentrent. C'était interdit. Pendant des nombreuses années il a été méconnu.
Mme Bouvard : C'est dommage parce que c'est quelque chose d'extraordinaire. Je me rappelle lors des journées portes ouvertes organisées par l'Armée en 84, il y avait eu énormément de monde. Tout était très canalisé… très militaire, tout le monde n'allait pas n'importe où, n'importe comment. Ce n'est pas comme le « Fort en bal[l]ade » où les gens peuvent déambuler n'importe où comme ils le veulent. Là c'était très structuré, par groupe. Mais c'est vrai que le Fort n'était pas sécurisé comme il l'est maintenant.
M. Bouvard : C'était un encadrement militaire, donc tout le monde restait bien en groupe, il n'y avait qu'une seule personne qui me dirigeait.
Les gens étaient très disciplinés, je ne sais pas si c'était parce c'était des militaires qui encadraient… des fois, ça suffit ! [rires]
« C'est intéressant que les gens voient que Feyzin, ce n'est pas que la raffinerie, que ce n'est pas que la pollution, que c'est aussi des grands espaces verts »
Mairie de Feyzin : Alors justement, en ce moment il y a plusieurs choses organisées au Fort, les journées portes ouvertes lors des Journées du Patrimoine, le Fort en bal[l]ade, tout ça, qu'est-ce que vous en pensez, vous qui avez vécu là-bas, c'est presque chez vous finalement que les gens « piétinent » ?
M. Bouvard : C'est à visiter, c'est à voir, c'est quelque chose d'extraordinaire. Je trouve que c'est bien que cela soit ouvert au public, il n'y a pas de raison qu'on garde tout ça que pour nous.
Mme Bouvard : C'est intéressant que les gens voient que Feyzin, ce n'est pas que la raffinerie que ce n'est pas que la pollution que c'est aussi des grands espaces verts.
Mme Bouvard : Quand on voit le Fort, cette verdure, je crois qu'il faut le partager avec les gens. Moi j'y ai vécu 13 années de bonheur. S'il fallait qu'il y ait un gardien j'y retournerais avec plaisir !
J'ai tout connu, la joie, la peine parce que mon père est décédé là-bas. C'est quelque chose qui est rattaché à ma mémoire et qui restera jusqu'à la fin de ma vie. Je crois que lorsqu'on y a vécu on ne peut pas l'y oublier.
« C'était un berger picard, la relique du Fort »
On a eu de la chance, parce que la personne que ma mère a remplacée, c'était un veuf ou divorcé, je ne me rappelle plus. Ce monsieur avait une cinquantaine ou une soixantaine de chats, ils ont été obligés de les tuer à la carabine. Il y avait aussi un chien attaché en bas du Fort dans les fossés.
M. Bouvard : On l'a gardé, et il est mort à 27 ans ! C'était un berger picard, la relique du Fort. C'était le chien du Fort. Quand on le voyait on avait toujours l'impression qu'il allait nous manger, nous comme les autres, alors qu'en fait c'était une vraie crème. Il aboyait beaucoup, on avait l'impression qu'il allait arracher les pneus des véhicules de l'Armée. Il se mettait devant les roues des camions, les gars n'osaient pas avancer, jusqu'au jour où on leur a dit « Mais ce n'est pas utile, de toutes façons il s'enlève, alors vous pouvez y aller ! ». Alors ils ont commencé à avancer et le chien reculait en même temps qu'ils avançaient, c'était assez comique mais ils n'osaient pas avancer, ce qui était normal, mais le chien savait très bien ce qu'il faisait.
Et oui, 27 ans, comme quoi, il n'y a pas de pollution à Feyzin, on vit très bien, la preuve !
Mme Bouvard : Il a vécu 13 années de bonheur avec nous. Il a connu le canapé, pour ça, ça lui a changé !
Mme Bouvard : Je me rappelle, lorsque nous sommes arrivés au Fort on n'avait pas le téléphone à l'intérieur de l'habitation, à l'époque le seul combiné était dans la deuxième pièce sur la gauche du pavillon d'entrée. L'Armée nous avait dit « Gardez bien ce chien, lorsque le téléphone sonne, vous l'entendez pas forcément et le chien aboiera pour vous prévenir ». C'était quelque chose ce chien !
« Il faudrait que le lieu soit relativement ouvert et assez souvent »
Mairie de Feyzin : Comment imaginez-vous le futur du Fort ?
Mme Bouvard : Ce que j'aurais aimé, et ce qu'on aurait pu faire c'est dommage, c'est faire des salles pour que les gens puissent y faire la fête. Il n'y a pas d'habitation, on peut faire du bruit autant qu'on veut ! Mais surtout ce que j'aurais aimé c'est de voir naître une colonie pour les enfants, ou un centre de loisirs… quelque chose comme ça.
M. Bouvard : Il faudrait que le lieu soit relativement ouvert et assez souvent car, aujourd'hui, mises à part les Journées du Patrimoine et le Fort en bal[l]ade, c'est un lieu qui est constamment fermé parce que non sécurisé…
« Ils n'utilisaient pas grand-chose du Fort à proprement dit »
Mme Bouvard : Cependant on comprend bien que c'est un gouffre financier en y ayant vécu et ayant entendu déjà, à l'époque, l'Armée nous dire que le Fort était un gouffre financier, je peux comprendre que la mairie, qui a quand même moins de moyens que les militaires, mettent du temps à gérer ça.
Mais c'est vrai que l'Armée n'a jamais pris le temps de rénover quoi que ce soit… peut-être qu'ils savaient qu'ils allaient abandonner le Fort au final.
M. Bouvard : De toutes façons, à part le parados, là où ils logeaient les militaires, tout ce qui était tranchées, les caponnières, même la caserne principale était abandonnés. Ils débroussaillaient pour n'être pas envahis par la végétation, il faisait leur préparation militaire avec les carcasses d'avion pour apprendre à sauter et à se réceptionner. Mais mis à part ces emplacements-là, la clairière et devant la caserne, ils n'utilisaient pas grand-chose du Fort à proprement dit. Ils avaient les chambres pour dormir, les cuisines pour manger, faisaient leurs entraînements et puis voilà. C'est pour cela qu'ils faisaient globalement un débroussaillage, histoire de dire que cela soit un petit peu propre. Il prenait les jeunes appelés qui venait du QGF et débroussaillaient le Fort, c'était l'adjudant-chef Le François qui s'occupait de ces jeunes-là.
Mme Bouvard : Mon mari et moi on ne connaissait pas beaucoup les militaires, on travaillait à l'extérieur, cependant ils avaient beaucoup d'estime pour ma mère.
Les gens qui faisaient la PM, qui étaient là pour les quinze jours de préparation, n'avaient pas le droit de sortir. Après, les gens des cuisines, des fois sortaient pour aller faire des courses. C'est sûr que ce n'est pas le Fort de Feyzin qui a fait marcher les commerces… Le débit de tabac peut-être. Ils avaient un foyer qui se trouve, quand vous êtes face au parados, juste au dessus du porche en face de vous. Les jeunes qui faisaient la cuisine s'occupaient aussi du foyer. Ils vendaient de l'Oasis, des cigarettes, des choses comme ça. Ils faisaient leur petit commerce interne.
C'est vrai que du coup, les habitants de Feyzin ne voyaient que très peu les militaires, à la limite ils voyaient passer les camions on va dire.
« On aurait dit la NASA qui s'installait »
Mme Bouvard : Je me rappelle aussi, qu'il y a eu les gardes mobiles qui étaient venus quand le Pape était à Lyon.
M. Bouvard : Le déploiement des gardes mobiles était vraiment impressionnant. Il n'y avait pas que des motos, il y avait des camions, des bus. Il y en avait partout. Je n'avais jamais vu autant de monde de ma vie. Ils ont installé une parabole… Je n'avais jamais vu une parabole de cette taille-là ! On aurait dit la NASA qui s'installait, c'était assez impressionnant. Ils ont posé ça, sur la petite plate-forme en face des cuisines du parados, sur la gauche quand vous entrez, histoire de bien réceptionner…
Ils étaient au moins, 100, 150.
Quand je suis arrivé avec ma voiture, sur le pont : « Heu… Je peux rentrer s'il vous plaît, vous me laissez passer ? ». Ils étaient quand même le double que d'habitude.
« La journée type banale, qui rappellera à ceux qui ont fait leur service beaucoup de choses »
Leur rythme de vie à l'intérieur du Fort était une journée type militaire : ils se levaient le matin, allaient tous aux douches qui étaient d'ailleurs individuelles ; ils prenaient leur douche, ils allaient s'habiller, le petit déjeuner et ils partaient en exercice dans le Fort. Ils faisaient des groupes. Il y en avait un qui s'entraînait à atterrir, d'autres à sauter etc.… Mais on n'était pas trop avec eux, il ne fallait pas venir les gêner. Puis ils mangeaient à midi, reprenaient les exercices l'après-midi et arrêtaient vers 17h, quoi. Puis après ils pouvaient se balader dans le Fort librement. Et après, ils réintégraient les chambres et ils éteignaient sur les coups de 22h !
Vraiment la journée type banale, qui rappellera à ceux qui ont fait leur service beaucoup de choses.
Mme Bouvard : On prenait jamais de repas avec eux, enfin pas nous, ma mère, elle, se faisait souvent inviter. Elle était invitée au mess des officiers. C'était très rigolo, ils discutaient bien, c'était des bons vivants, quand ils étaient rassemblés entre eux, qu'il n'y avait pas les appelés, c'était des bon vivants.
« S'ils avaient entretenu bien dès le départ cela n'aurait pas coûté les millions que ça risque de coûter maintenant »
Mairie de Feyzin : Il y a deux salles dans le Fort qui sont assez décorées sur les murs, une espèce de dessin…
M. Bouvard : Oui, le plancher est complètement pourri, alors c'est ce qu'on appelait la salle de sport. C'était l'ancien magasin à poudre. A priori, ils l'avaient réhabilité en gymnase et pas une salle des fêtes. Mais à notre époque ils ne l'utilisaient pas. Ils nous interdisaient même de rentrer dedans parce que le plancher était déjà tout abîmé.
C'était déjà bien dégradé avant puisque l'Armée n'avait jamais entretenu tous les locaux. Par contre, quand l'Armée est partie, le premier bâtiment était tout nickel. Maintenant, il y a des portes cassées, plus aucune vitre debout, mais à l'époque elles étaient encore intactes. C'est de 1997 à 2001, à partir de l'été 2001, c'est de cette période que le premier bâtiment s'est dégradé. Ils ont cramé nos appartements, dépouillé la cuisine militaire... Le deuxième bâtiment était déjà dans un état lamentable. Il ne s'en servaient pas. La place devant la caserne leur servait juste pour leur préparation, c'est tout. On voit nettement une différence d'état entre les deux d'ailleurs.
Alors que s'ils avaient entretenu bien dès le départ cela n'aurait pas coûté les millions que ça risque de coûter maintenant. En étant capable de mettre 4 personnes à débroussailler le Fort, ils auraient pu être capables de mettre une entreprise ou deux pour entretenir les locaux, ça n'aurait pas coûté forcément plus cher. Même s'il y a 25 hectares, entretenir les deux bâtiments ça aurait été pas mal déjà.